Le droit international public, c’est un peu aride. Mais juridiquement, c’est fort intéressant. L’ennui, c’est que parfois, c’est comme un boomerang. Ça vous revient dans la figure. 

Prenons une affaire simple mais douloureuse, que j’ai vu plaider récemment alors que j’attendais mon tour lors d’une audience. 

Voici les faits. Deux couples se trouvent dans une voiture. Le conducteur roule en dessous de la limite de vitesse, sur une route droite, correctement goudronnée. Pour une raison inconnue, il perd le contrôle du véhicule, lequel sort de la route et percute un rocher. 

Les deux messieurs ne s’en sortent sans trop de mal. Les dames, en revanche, moins bien. Notamment, l’une d’elle est suffisamment gravement accidentée pour subir plusieurs opérations, des mois de rééducation, et souffrir d’une amnésie totale de l’accident. 

En principe, que doit t’il se passer ? Eh bien, l’assureur du conducteur prend en charge le préjudice corporel subi par la victime. Celui-ci est conséquent. Elle est aujourd’hui invalide à près de 70%, et l’accident étant survenu alors qu’elle avait 60 ans, sa retraite en a été totalement gâchée. 

Cette dame pourrait ainsi prétendre à des sommes non négligeables, eu égard aux souffrances endurées, à son infirmité, à toutes les activités qu’elle pratiquait et qu’elle a dû abandonner…

Sauf que. 

L’accident ne s’est pas produit en France, mais dans un pays africain. 

Et qu’est ce que ça change, me direz vous ? En fait, tout. Parce qu’en matière d’accidents de la route, la convention applicable en la matière (convention de la Haye du 4 mai 1971) précise que la loi applicable au litige est la loi du lieu de l’accident. 

Et il ne faut pas rêver, les règles en matière d’indemnisation des victimes d’accident de la route sont généralement moins généreuses en Afrique qu’en France. 

Ainsi, la dame qui s’est retrouvée toute disloquée du fait de son accident risque de ne rien percevoir du tout…pourquoi ? 

En raison du mécanisme du droit international privé. 

Et pourquoi « splendeurs et misères » ? Parce que ce mécanisme est tout à fait intéressant. 

En effet, lorsqu’il aboutit à ce qu’un droit étranger soit appliqué, il faut que celui qui se prévaut de ce droit étranger en apporte la preuve du contenu. Dans notre cas, indiquer dans quels cas le préjudice corporel est indemnisé, par qui, dans quelles limites… La charge de cette preuve revient aux parties, et à défaut, au juge lui-même qui doit faire des recherches. 

Si toutefois il est impossible de connaître la consistance de la règle étrangère, la loi française a alors vocation à s’appliquer de façon subsidiaire. 

C’est une construction juridique tout à fait élégante, à savoir logique (application du droit du lieu de l’accident) et qui évite de se retrouver dépourvu (application du droit français si l’on ne parvient pas à déterminer la consistance de ce droit étranger). 

Dans notre affaire, il est évident que l’assureur du conducteur qui risquait d’avoir à payer des sommes conséquentes avait tout intérêt à soutenir que c’était le droit du pays africain qui s’appliquait. Ce qu’il a naturellement fait, sans pour autant rapporter la preuve du contenu du droit concerné. 

A sa décharge, ce n’était pas tellement facile. En outre l’accident avait eu lieu au début des années 90, de sorte qu’il est fort probable que les règles applicables ont changé depuis. 

Dans cette affaire, des juges ont déjà décidé une première fois, avant de statuer sur le fond du dossier, d’inviter les parties à trouver la consistance du droit en question, en parfaite conformité avec les règles du droit international privé. 

Naturellement, pour l’avocat de la victime de l’accident, il n’était pas question de prouver la consistance du droit africain, forcément moins favorable que le droit français. Il a ainsi plaidé que ce droit n’étant pas déterminé, il convenait d’appliquer le droit français, à vocation subsidiaire. 

L’avocat de l’assureur n’a pas fait tellement mieux, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé, lui. 

L’affaire s’est de nouveau plaidée. J’ai pu, par la suite, connaître le fin mot de l’histoire. Je supposais que le Tribunal aurait soit appliqué le droit français, soit appliqué le droit africain que l’assureur invoquait. 

Le Tribunal… a de nouveau invité les parties à se renseigner sur la consistance du droit étranger et posé des questions précises à adresser à l’ambassade concernée. L’affaire est repartie. 

La bonne nouvelle, c’est que manifestement le Tribunal a pris son travail très à coeur et a fait le maximum pour appliquer la règle de droit, à savoir découvrir le contenu de la loi étrangère, si besoin est par lui-même. 

La mauvaise ? Il y a désormais de bonnes chances que le contenu du droit en question soit établi. De plus grandes encore que l’indemnisation accordée aux victimes d’accident de la route soit dérisoire (4000 ou 5000 Euros d’après ce que j’ai compris des plaidoiries). Ou que l’action soit prescrite, ce qui veut dire que la victime ne percevra absolument rien. 

Voilà ce à quoi je voulais en venir. Le droit international privé, c’est beau. Mais ici, c’est cruel. Et je doute que la victime de l’accident, aujourd’hui assez âgée, prenne avec sérénité le fait qu’elle est en procès depuis plus de quinze ans pour rien…

Moralité ? Evitez les accidents de voiture à l’étranger…

Tiens, au fait, pour finir sur une note plus légère, un bon point à qui reconnaît l’allusion du titre sans aller faire un tour chez google.