37C8F07E-CA15-4E28-B650-04666958CEC9.image_600Ah, la question à mille francs (Lucien Jeunesse me manque). On me la pose souvent en commentaires, parfois en rendez-vous : pourquoi ne pas faire un devis pour son honoraire ? 

La réponse est toujours la même : parce que c’est impossible! 

Je pourrais m’arrêter là mais je pense que je frustrerais mes lecteurs, qui risqueraient de ne plus venir me rendre visite. Et j’aime bien qu’on me rende visite. Élaborons donc un peu. 

Qu’est ce qui fait qu’un avocat est généralement dans l’incapacité d’établir un devis pour son honoraire ? C’est tout simplement qu’il lui est souvent impossible de déterminer la quantité de diligences qu’il va mettre en oeuvre. 

En effet, lorsqu’un entrepreneur, par exemple, vous fait un devis, il sait précisément quelle va être sa tâche. Il est donc en mesure de proposer un prix qui permettre de mener celle-ci à bien tout en lui permettant de dégager une marge qui lui permet de gagner sa vie. 

Or dans la majorité des cas, ce type de raisonnement ne peut pas s’appliquer à un avocat, qui, lorsqu’il prend un dossier en charge, ne sait pas à l’avance précisément ce qu’il va être amené à faire. 

C’est tout particulièrement vrai pour les dossiers de contentieux, où on peut passer d’un tout petit procès simplissime à une imposante machine à gaz. En matière de construction, avec les expertises, c’est pire. 

Il est donc particulièrement difficile de faire un devis. En effet, on peut prévoir la prestation à forfait. Dans ce cas, sauf cas rares où le dossier se comporte bien sagement, soit le dossier est moins important que prévu, et le client qui a payé un forfait complet y perd, soit le dossier est plus important, et l’avocat soit ne gagne rien dessus, soit carrément paie pour le traiter. Ne riez pas, économiquement, ça arrive de travailler véritablement à perte. 

Et comme les avocats ne sont pas tous rentiers (soupir de regret) et travaillent pour gagner leur vie, la seconde solution n’est pas admissible. La première risque de leur faire perdre le client. En outre, dans le premier cas, le client va sûrement demander une réduction de l’honoraire. Mais dans le second cas, ça m’étonnerait qu’il offre de régler davantage que le forfait… 

Autre possibilité, présenter des options, en forme, forcément, d’arborescence. Il s’agit donc d’évaluer le temps de travail nécessaire à chaque diligence selon les façons possibles dont le dossier peut évoluer. On peut ainsi indiquer qu’il faut compter, selon la complexité de l’affaire, de trois à dix heures pour monter une assignation, un montant un peu inférieur pour des conclusions, qu’il faudra peut être conclure une fois, peut être trois, etc… et donner des hypothèses à chaque fois. 

Lorsqu’il client m’interroge, c’est ainsi que je procède, pour donner une idée d’ensemble de ce que le dossier peut coûter selon les hypothèses raisonnablement prévisibles. Mais comment savoir si l’assignation suffira, ou s’il faudra conclure à plusieurs reprises ? 

Comment savoir si l’adversaire, dans le cadre de la procédure, va introduire un incident de procédure (un petit procès dans le procès) ? A supposer qu’un tel incident soit formé, il peut s’agir d’une petite broutille (en termes de diligences) comme de la mise sur place d’une expertise (et c’est parti pour les réunions multiples et les heures passées à rédiger des argumentaires à l’attention de l’Expert…) 

Bref, déjà qu’évaluer grossièrement ce que va coûter un dossier est difficile, faire un devis pour évaluer l’honoraire, c’est carrément mission impossible. 

Prenons deux exemples tirés de dossiers réels. 

Un client vient me voir avec un jugement le condamnant, afin que j’engage une procédure d’appel. Cela implique des diligences non négligeables, surtout quand on reprend le dossier au stade de l’appel : tout est à refaire, puisqu’on n’a pas la base de travail déjà faite en première instance. Nous examinons ensemble le jugement, et arrivons finalement à la conclusion que la solution la plus sage consiste probablement à s’abstenir de contester le jugement, et à payer la condamnation… Sur ce dossier, j’ai facturé des honoraires très modestes, essentiellement au titre du conseil que j’ai donné pour l’analyse du jugement et de sa motivation. Mes diligences ont été bien moindres que ce que je prévoyais, et le client aussi. 

Autre exemple, je suis saisie d’un authentique dossier de construction, avec désignation d’Expert, autre procédure de référé pour mettre en causes de nouvelles parties… L’expertise se déroule, elle donne lieu à cinq ou six réunions sur place qui durent, chacune, de deux à trois heures. 

Compte tenu de la complexité du dossier, de la réactivité de l’Expert qui émet plusieurs notes, et de la nécessité de répondre aux arguments des autres parties, je me retrouve à rédiger pas moins de 10 Dires (courriers d’argumentation à l’Expert) dont le dernier, récapitulatif, fait pas moins de 18 pages. Autant dire que j’ai passé des heures sur le dossier. Et à l’origine, j’étais dans l’incapacité de déterminer l’importance du travail, et ne pouvais savoir s’il y aurait deux ou dix réunions sur place, et si un seul courrier à l’Expert suffirait, ou s’il en faudrait plusieurs. 

Il m’était littéralement impossible de prévoir à l’avance ce qu’il en était en termes d’honoraire. La solution adoptée a consisté à travailler en étroite collaboration avec le client pour le tenir informé de mes diligences et déterminer avec lui la stratégie à mettre en oeuvre. 

Il n’en demeure pas moins que cette expertise a donné lieu à plusieurs dizaines d’heures de travail. 

Alors non, sauf cas où les diligences à faire sont exactement prévisible, nous ne faisons pas de devis. 

En revanche, il faut nécessairement établir une convention d’honoraire, afin que la base de calcul de la rémunération de l’avocat soit clairement établie en accord avec le client.

Photo par Mukumbura 

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