Selon moi, cette citation de Nicolas Boileau illustre l’idéal vers lequel l’avocat devrait tendre.
En effet une très grande part du travail d’avocat consiste à transformer la pile de documents et les quelques informations que lui donne son client en un récit cohérent qui emportera la conviction de celui qui le lit, à savoir le magistrat qui va trancher le litige.
Il faut ainsi dans un premier temps s’attacher à comprendre la situation qui est exposée par le client pour ensuite la traduire en termes juridiques et en tirer les conséquences. Il s’agit d’un raisonnement consistant à énoncer la situation donnée, trouver la règle de droit que l’on veut appliquer, pour en conclure l’effet que produit cette règle sur la situation de fait.
Parfois, c’est limpide. Par exemple, Monsieur X s’est engagé à payer 1 000 Euros à Monsieur Y : c’est la situation de fait. L’article 1134 du code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites : c’est la règle de droit. Conséquence : X est dans l’obligation de payer cette somme à Y.
Plus souvent, c’est complexe et il faut alors réfléchir longuement à la façon d’agencer les arguments de façon à ce qu’ils s’enchaînent de façon parfaitement claire et naturelle. On s’aperçoit parfois qu’on a une idée assez nette de l’argument qu’on souhaite formuler sans avoir encore trouvé les mots appropriés (Comme quoi, peut être que la pensée précède le langage et non l’inverse… Mais sans langage, point de pensée évoluée).
Il s’agit alors de faire un travail de conceptualisation, pour traduire l’idée en mots les plus appropriés possibles – et de préférence, les moins nombreux possibles. Une partie du travail consiste à tenter d’utiliser alors le mot juste plutôt qu’une périphrase longue et souvent moins précise.
Et dans l’idéal on obtient un texte court, clair et évident. En priant pour que ce soit aussi l’avis du Juge.
Alors le jour où votre avocat soumet à votre approbation un texte qui vous paraît ridiculement court, ne lui en veuillez pas. D’abord, il a parfois fallu des heures de travail pour arriver à faire une synthèse de toutes les informations que vous lui avez données : il est souvent plus difficile de faire court que de laisser courir la plume. Et ensuite, pensez au Juge, qui sera ravi de n’avoir à lire que cinq page et pas quinze…
Entièrement d’accord avec vous , cependant si c’était le cas ,malheureusement ,on les compterait sur les doigts d’une seule main…
D’accord avec votre réflexion, mais vu sous l’angle de l’expertise judiciaire. Comme vous, les avocats, l’expert judiciaire doit aboutir au récit concis cohérent et compréhensible. Le nombre de pages de nos rapports ne sont pas le reflet du travail fourni. De même si l’avocat du demandeur est clair, pièces classées, un dire bien rédigé, les investigations vont être facilitées. Inversement, la confusion, les carences pour les pièces vont compliquer sérieusement les investigations et le coût .
Discussion hier au bureau sur cette citation de Boileau, que je citais sous la même forme que vous, mais par erreur, car la citation correcte est « Ce que l’on conçoit bien… ». On peut en effet penser que les arguments ne « s’autoconçoivent pas », mais sont le fruit d’un travail actif (comme vous le décrivez bien)…
Egalement, tout à fait en accord avec vous sur la difficulté à être concis, tout en restant complet et précis. Boileau encore, nous aide (Art Poétique):
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez ».
ou bien Saint Exupéry (Terre des Hommes)
« Il semble que la perfection soit atteinte, non quand il n’y a plus rien à ajouter mais quand il n’y a plus rien à retrancher »
le métier d’avocat — autant que celui de médecin — devrait être une vocation.