Je devais aller plaider une affaire devant la Cour d’Appel. La partie adverse était une dame âgée, dont, à mon avis, la mauvaise foi n’avait d’égal que le montant de son compte en banque.

Après avoir trouvé la salle d’audience (un exploit en soi !) j’entre, et avise justement une dame couronnée d’une abondante auréole de cheveux blancs qui remue des papiers en marmonnant, révisant manifestement un dossier.

Diantre. Serait-ce mon adversaire ?

Nullement, m’indique mon contradicteur lorsqu’il arrive.

Curieuse, je m’interroge sur l’identité de cette femme, seule personne de la salle à ne pas porter de robe et qui donc n’était ni avocat, ni avoué.

Son affaire est appelée avant la mienne. Le litige la concernant porte apparemment sur une facture de l’ordre de mille Euros, qu’elle refuse catégoriquement de régler bien qu’elle ait manifestement sollicité la prestation de l’artisan.

Ce dernier, excédé par la mauvaise foi de la plaideuse, a décidé de se battre jusqu’au bout et tente de franchir l’un après l’autre les nombreux obstacles procéduraux que fait surgir cette dame entre sa facture et le chèque correspondant.

En effet, l’affaire de ce jour là devant la Cour avait manifestement été précédée d’un terrible imbroglio juridique, impliquant notamment des décisions relatives à la mise sous tutelle de l’intéressée.

L’inconnue se lève et plaide en premier. Elle est assistée d’un avoué, ce qui est pour quelques temps encore obligatoire devant la Cour, mais n’a pas pris d’avocat et assure elle même sa défense.

Ses explications sont longues, embrouillées, développées sur le ton de la dignité offensée et franchement énervée.

A dire vrai, je ne comprends guère ses arguments, et vu la tête des magistrats de la Cour, j’ai l’impression de ne pas être la seule.

La Cour, justement, est visiblement agacée – la présidente demande à plusieurs reprises à la plaideuse d’écourter, d’en venir au fait.

Cette dernière achève enfin sa diatribe.

J’ai bien écouté, et pourtant, je n’ai toujours pas tout compris.

L’avocat de l’artisan créancier se lève et développe à son tour ses arguments.

Visiblement, la plaideuse, il la pratique depuis un certain temps. Il lance quelques piques qui, si elles s’intègrent sans heurt dans sa plaidoirie, sont manifestement destinées à la faire réagir.

Ça marche.

Sur son siège, la dame âgée trépigne, de plus en plus visiblement. A plusieurs reprises, elle se lève à demi, puis enfin se dresse vivement en plein milieu de la plaidoirie adverse et tente de répondre inopinément à cette dernière, interrompant l’avocat adverse.

La Présidente intervient et intime l’appelante* de se taire et de se rasseoir. Son avoué passe de la consternation au désespoir le plus total ; il tente sans succès de faire taire sa cliente qui ponctue la plaidoirie de son adversaire d’interjections variées.

La plaideuse ne se rend pas compte que ses interventions la desservent. L’avoué, si, et sa mine s’allonge.

La plaidoirie de l’affaire s’achève enfin, la date à laquelle le jugement sera rendu est donnée. La plaideuse sort de la salle d’un air offensé.

On en a parlé un peu, ensuite, entre avocats. Un pareil numéro, cela n’arrive pas tous les jours. Et puis mon affaire a été appelée et je n’y ai plus pensé.

Je ne pensais pas la revoir. Erreur.

L’autre matin, j’avais une affaire au Tribunal d’instance du 13ème arrondissement de Paris.

Elle était là, pas changée d’un iota, encore en train de compulser fébrilement ses papiers. Elle donnait même des renseignements, remarquablement précis, à quelques justiciables apparemment un peu perdus dans la jungle judiciaire.

Hélas, ce jour là elle s’est contentée de demander un renvoi, d’un air empressé et sans hésiter une seconde sur la façon de s’y prendre. Elle a franchi la longueur de la salle d’audience d’un pas conquérant, faisant claquer ses talons sur le sol, en brandissant comme un glaive sa carte d’identité et quelques papiers. Puis elle est repartie, peut être vers une autre audience.

Une vraie professionnelle des tribunaux.

*Pardon, mais je ne pouvais pas laisser passer celle là…