Comme promis, voici la suite du billet consacré au raisonnement juridique illustré par le trouble du voisinage. 

La réflexion sur le préjudice, elle aussi, est particulière. En effet, le système juridique français n’accepte de réparer que le préjudice subi. Un Tribunal français ne prononcera jamais des dommages et intérêts pharaoniques afin de décourager pour l’avenir celui qui se fait condamner. Ainsi, la réparation est strictement proportionnée au préjudice subi. 

Aussi, il faut établir exactement le préjudice subi. 

En matière de trouble de voisinage, il peut s’agir d’une perte de jouissance d’une pièce de l’appartement, rendue inhabitable (ou juste peu agréable…) en raison de sa fenêtre donnant sur l’origine de la nuisance (évacuation de garage, par exemple). 

Dans ce cas, le préjudice est évalué en pourcentage de la valeur locative perdu en raison de la nuisance. Il peut également être constitué par la perte de valeur de l’appartement, si le trouble ne peut cesser. 

Il peut en outre y avoir des préjudices particuliers subis par les occupants. 

Par exemple, l’occupant d’un appartement qui subit des émanations venant d’un garage proche peut solliciter l’indemnisation de son préjudice de santé

En revanche, la victime du trouble de voisinage ne peut raisonnablement espérer obtenir l’indemnisation pour des « préjudices » qui ne sont pas directement liés au trouble. 

Autrement formulé, si la victime a pris des dispositions relevant de sa convenance plus que du fait du trouble subit, elle ne peut espérer obtenir indemnisation du préjudice qu’elle allègue. 

Par exemple, supposons que la victime prétende que le trouble était tellement insupportable qu’elle a choisi de déménager. Elle a ainsi mis en location le bien qu’elle habitait auparavant. Elle demande dès lors qu’on lui rembourse son déménagement. 

Si la personne en question, qui habitait Paris, s’était transportée à quelques rues ou dans un autre arrondissement, l’indemnisation aurait pu avoir lieu. Sauf que cette personne avait en réalité acheté une maison pour sa retraite en province. Dès lors son déménagement résultait de sa convenance et non du trouble, et ne pouvait donner lieu à indemnisation. 

En outre, cette dame demandait qu’on lui rembourse les frais de peinture de son ancien appartement, et d’achat des meubles qu’elle y avait placés afin de louer les lieux meublés. Là encore, son déplacement étant de simple convenance, elle ne pouvait se voir remboursée ses frais de peinture et d’achat suédois. 

D’autant qu’on n’est pas strictement obligé de repeindre et meubler un appartement avant de le meubler…

Enfin, cerise sur le gâteau, cette personne prétendait que du fait qu’elle percevait des loyers, elle devait payer des impôts dessus, qu’il fallait lui rembourser. Cette demande n’a pas fait long feu…

En bref, pour demander une indemnisation, il faut toujours établir le lien nécessaire existant entre la faute ou la responsabilité établie et les conséquences subies. Les « préjudices » relevant de la convenance de la victime, voire de la responsabilité d’une autre personne, n’ont pas à être indemnisés. 

Il est vrai que parfois le client ne comprend pas bien le raisonnement et peste quelque peu devant son avocat qui ne veut pas faire docilement ce qu’on lui demande. 

Alors, parfois l’avocat cède, fait la demande… et avertit son client qu’elle n’a aucune chance. 

Sur ce point, il faut savoir que le juge ne voit pas nécessairement d’un bon oeil les demandes disproportionnées ; elles décrédibilisent le dossier plus qu’elles ne le servent. 

En effet, les juges aiment les demandes précises, et argumentées. 

Le raisonnement consistant à demander une somme pharamineuse en pensant qu’il en restera toujours quelque chose n’est pas souvent gagnant. 

Le juge qui estime une demande non fondée, même si elle est très élevée, la refusera en bloc et n’accordera pas une petite fraction de la somme sollicitée. 

En revanche, le juge qui voit une demande précise, qui n’est pas forcément un chiffre rond, justifiée par des documents, et soigneusement expliquée, est plus enclin à l’accorder. Pour ma part j’intègre très souvent des tableaux de calcul dans mes écritures, afin que les sommes demandées soient aisément compréhensibles. 

Aussi, le travail de l’avocat est aussi de conseiller son client sur la meilleure façon de présenter ses demandes, de les justifier, de les articuler. Mieux vaut demander des sommes raisonnables de façon bien étayées, et les obtenir, que demander des sommes énormes que le juge refuse parce qu’il ne comprend pas pourquoi diable il devrait les accorder…

Pour compléter cet exposé, quelque peu aride il est vrai, je ferai un ultime billet [Edit :consultable en cliquant sur ce lien] concernant le raisonnement juridique et la qualification, qui traitera de la transcription de ce raisonnement au stade des juridictions, et plus précisément de la différence fondamentale qui existe en les juridictions habituelles et la Cour de Cassation. 

Et avant cela, histoire de répondre à une question qui m’a été posée, je ferai une note un peu plus courte et plus anecdotique sur l’équité

Je tâcherai de mettre en ligne ces billets rapidement. Ne retenez pas votre souffle quand même.