Lire la loi, mission impossible ?Le premier article que j’ai publié sur ce blog, en guise d’introduction, portait sur la maxime « nul n’est censé ignorer la loi ». Visiblement, malgré l’ancienneté de ma prose (bientôt de quatre ans tout de même…) cet article reste un des plus consultés. Il est vrai que la question reste d’actualité. 

J’expliquais dans cet article que personne ne peut tirer argument de son ignorance de la loi pour échapper à son application. 

Sauf que parfois, lire la loi et surtout la comprendre est un véritable casse tête. Même pour l’avocat, c’est dire. La faute à qui ? Outre, parfois, l’épaisseur de la caboche du lecteur, il y a surtout l’inflation législative et une relative perte de qualité d’écriture des textes. 

Je voulais illustrer cette difficulté en reparlant de la question du vice caché, que j’avais déjà abordée dans un précédent billet

Il s’agira ici moins d’aborder le fond du droit, que sa forme, en se penchant d’un peu plus près sur le texte de l’article 1643 du Code Civil et la bonne façon de le lire, et de le comprendre. Pourquoi cet article ? Parce que je connais bien le mécanisme de cet article, que j’ai récemment utilisé dans un dossier. Mais qu’en le relisant, je m’aperçois que tout de même, l’accès au texte brut n’est pas si aisé. 

Voici le texte de cet article : 

« [Le vendeur] est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n’ait stipulé qu’il ne sera obligé à aucune garantie ».

Là je ne vais pas me plaindre d’une rédaction moderne de pauvre qualité, au contraire, c’est un article issu du Code Civil de 1804. Mais tout de même… 

Décortiquons un peu. 

Le principe de base, indiqué dans la première partie de la phrase, est que le vendeur est tenu de vices cachés du bien (cachés pour l’acheteur…). 

La seconde partie de la phrase rajoute une précision : il doit la garantie pour les vices cachés, même ceux qu’il ne connaîtrait pas. 

Cela signifie que pour l’acheteur, la bonne foi du vendeur n’a pas d’importance. Il s’agit, de façon objective, de vendre un bien exempt de vices, peu importe que le vendeur les connaisse ou pas. 

Et c’est à ce moment que la troisième partie de la phrase introduit l’exception : le cas où le vendeur qui ignore tout des vices éventuels de la chose stipule dans le contrat de vente qu’il ne sera tenu à aucune garantie. 

Le mécanisme, relativement équitable d’ailleurs, est que le vendeur qui est persuadé que son bien est exempt de vices peut se dégager de toute garantie des vices cachés. 

Il y a donc le principe (la garantie), le complément du principe (le cas où le vendeur ignore le vice) et l’exception au principe, qui ne peut fonctionner que si le complément du principe est présent (on ne peut échapper à la garantie par une clause particulière que si on ignore le vice, donc si on est de bonne foi au moment de la vente). 

Cela signifie en pratique que la détermination de la bonne foi du vendeur est primordiale lorsque l’acheteur découvre un vice. En effet, la clause de non garantie sera toujours intégrée à l’acte de vente, à titre de précaution. Dès lors il appartiendra à l’acheteur, ce qui n’est pas facile, de démontrer que le vendeur était informé du vice mais a choisi de le cacher à l’acheteur. 

Donc finalement, le principe est simple à comprendre : le vendeur de mauvaise foi n’échappe pas à ses responsabilités mais il n’y a pas de raison de pénaliser le vendeur de bonne foi et qui est en outre précautionneux (insertion de la clause de non garantie dans l’acte de vente). 

Mais, tout de même, l’article correspondant n’est pas d’un abord très aisé. 

Maintenant, cet article mérite quand même l’éloge. Car là où il m’a fallu tout ce billet, le Code Civil se contente d’une phrase. 

Comme quoi, c’était mieux avant (en 1804). 

Du moins, en termes de rédaction de textes de loi. 

PS : pour les tâtillons, au moment de la promulgation du Code Civil de 1804, Bonaparte n’est pas encore empereur. 

Image par Jacques Louis David