Ça se passe sur cette page.
Avocat en construction et copropriété
Ne vous attendez pas ici à lire un article sur le commerce triangulaire ou le code noir, ce n’est pas le propos.
Non, quand je parle de nègre, j’évoque par exemple Alexandre Dumas et Auguste Maquet.
Vous avez sûrement lu, à tout le moins, les Trois Mousquetaires. Pour ma part, ce fut la lecture (et relecture) de mes treize ans, quel fabuleux bouquin. Et Dumas, quel génie !
Quelle n’a pas été ma surprise d’apprendre quelques années plus tard qu’on ne devait pas à Dumas lui-même tout le texte de son best seller incontesté… En effet, Dumas a travaillé des années durant en collaboration avec Maquet, qui est en réalité à tout le moins le co-auteur de l’oeuvre.
Donc, le nègre, c’est celui qui écrit un livre, pour le compte de quelqu’un, et dont généralement le nom n’apparaît pas sur la couverture. Eloigné des feux des projecteurs, il est la petite main qui a rédigé le texte de l’oeuvre.
Quel droit lui appliquer ? Pour le savoir, il faut revenir aux principes de base. J’avais déjà rappelé qu’en droit de la propriété intellectuelle, l’idée est de libre parcours, c’est-à-dire que le droit d’auteur protège la création de forme, non l’idée.
Pour ce qui est d’un livre, l’idée, c’est la base de l’intrigue, les vagues contours des personnages. L’oeuvre, c’est le travail d’écriture – même inachevé.
Alors, quels sont les cas de figure qui peuvent se présenter ?
Dans le cas d’une pure oeuvre de commande, sans aucun doute possible, le commanditaire ne sera pas considéré comme l’auteur, au contraire du nègre.
La Cour de Cassation a ainsi pu rappeler que le client qui commandait une oeuvre à l’artiste, bien qu’il ait indiqué qu’il souhaitait qu’elle soit d’un type ou d’un caractère donné, et qu’il ait précisé ces éléments par des esquisses sommaires, ne pouvait avoir de droits intellectuels sur l’oeuvre finale, dont la valeur intrinsèque provenait des techniques et de l’inspiration de l’artiste.
Supposons ensuite que le commanditaire ne se soit pas contenté de donner au nègre des indications, mais ait travaillé avec lui. Dans ce cas de figure, il s’agit d’une oeuvre de collaboration.
Dans le cas d’une oeuvre de collaboration, comme c’est le cas pour Astérix, le scénariste et le dessinateur ont travaillé main dans la main pour obtenir le résultat que l’on sait, bonté gracieuse, je dis.
Pour qu’il y ait oeuvre de collaboration, il faut véritablement que le commanditaire ait participé à l’élaboration de ladite oeuvre. Généralement, si le nègre travaille à partir d’un matériel donné – livre de souvenirs, récit, écrit ou partiellement enregistré – on considèrera qu’il a effectivement rajouté sa touche au produit final. Commanditaire et commandité sont tous deux auteurs.
Enfin, troisième hypothèse, évoquée à des fins d’exhaustivité, le commandité – à ce stade, le terme de nègre ne convient plus guère – participe certes à l’élaboration de l’oeuvre, mais en qualité de simple exécutant.
Dès lors, s’il n’apporte pas de contribution intellectuelle –par exemple, il se borne à corriger les épreuves et modifier les tournures – il ne peut être considéré comme auteur.
Alors, qu’en était-il d’Auguste Maquet, me demanderez-vous, si vous avez suivi.
Il semble que le type de travail qu’il réalisait ait pu varier. Ainsi, il arrivait qu’il se borne à réaliser les recherches historiques et à écrire le premier jet, que Dumas reprenait dans un style un peu plus de cape et d’épée. En revanche, dans certains cas, il apparaît qu’il est l’auteur quasiment unique de forts longs passages.
Il faut rappeler sur ce point que les Trois Mousquetaires sont d’abord parus sous la forme de romans feuilleton dans un journal, et aient donc été découpés en épisodes. Apparemment, pour certains épisodes, Maquet est à peu de choses près l’auteur unique.
Finalement, Dumas, qui courait toujours après l’argent, finit par cesser de lui régler son travail de sorte que Maquet a fini par lui intenter un procès. Il n’a pas réussi à se faire reconnaître comme co-auteur, mais comme simple créancier.
Et voilà pourquoi seul le nom de Dumas apparaît sur la couverture.
Cette question se pose pour nombre d’entrepreneurs, commerçants, artistes…
Pour ma part, je suis confrontée à ce type de problème dans deux domaines qui ont pourtant l’air diamétralement opposé : la construction et la création artistique. En effet, paradoxalement, dans les deux cas, la situation est globalement la même.
Au commencement est le devis. C’est-à-dire que notre entrepreneur ou artiste – autrement dit, le prestataire de service – propose lesdits service, pour une prestation et un montant bien déterminés.
Il peut s’agir pour Monsieur Dupont de peindre les murs de la salle de séjour de son client, ou pour Mademoiselle Martin de réaliser 15 illustrations pour un livre pour enfants. Le client est d’accord, il a signé le devis, le prix est convenu et tout va pour le mieux.
Et puis en cours d’exécution le client émet des souhaits nouveaux. Par exemple, il souhaite que soit également repeint le petit réduit de l’entrée. Ou alors, il aimerait bien disposez de dix illustrations de plus représentant des petits animaux pelucheux.
Et comme on travaille entre gens de bonne compagnie dans un climat de confiance, eh bien Monsieur Dupont ressort ses pinceaux et son white spirit… et Mademoiselle Martin, aussi, tiens, d’ailleurs.
Le mur est peint, les dix illustrations supplémentaires sont réalisées. Et là, c’est le drame : le client refuse de payer le complément.
Que faire ?
Eh bien, tout d’abord, il faut éviter d’en arriver là. Il faut TOUJOURS, lorsqu’un client commande des travaux supplémentaires, faire un devis supplémentaire et si possible le FAIRE SIGNER. Dès lors, il vaudra contrat et prouvera les obligations respectives des parties, et leur contenu. C’est préférable pour tout le monde, y compris le client.
En effet, l’établissement d’un écrit prouve certes l’obligation du client, mais il établit également l’obligation du prestataire de services à l’égard de son client.
Cependant, si vous n’avez pas pris de précaution particulière avant de réaliser le travail supplémentaire en question, que le client refuse de payer, et si vous voulez agir, il faut alors démontrer que ces travaux vous ont été commandés et que vous les avez réalisés.
Autrement dit, il faut rapporter la preuve de l’existence d’obligations réciproques.
En effet, contrairement à une rumeur tenace, le contrat verbal n’est pas nul. En droit français, le contrat se forme par la rencontre des volontés. L’écrit n’est censément qu’un moyen de preuve. Bien entendu, sans aucun écrit, il est particulièrement difficile de prouver l’accord de volontés. Mais cette absence d’écrit formel n’a pas pour effet d’empêcher la validité du contrat.
Donc, il faut prouver que ces travaux vous ont été commandés. Si tout s’est fait par téléphone ou de vive voix, cela sera sûrement difficile. Mais comme nous vivons une époque moderne, désormais, beaucoup de choses se passent par e-mail.
Aussi, conservez précieusement les e-mails que vous recevez de vos clients et qui permettront de prouver l’existence d’une relation d’affaire, et dans l’idéal mentionneront la commande de travaux supplémentaires.
En outre, il est utile de démontrer que les travaux ont été réalisés au profit du client. Si dix illustrations supplémentaires de mademoiselle Martin apparaissent dans la publication, ou par exemple sur le site internet de son client, il ne sera guère difficile de prouver que le travail a été réalisé.
En matière de construction, cela pourra varier. S’il s’agit d’un travail supplémentaire manifeste (« j’ai repeint deux pièces au lieu d’une), un simple constat d’huissier suffira à établir la preuve. S’il s’agit d’un travail un peu plus subtil (« j’ai posé plus de fils électrique que prévu car on m’a demandé une installation plus complexe ») il pourra être nécessaire d’avoir recours à un expert. Le but à atteindre est de démontrer, en comparant le devis initial avec les travaux finaux, que des prestations supplémentaires existent.
Tout cela demeure néanmoins assez compliqué.
Aussi, dès qu’un client vous demande une prestation supplémentaire, à moins que vous ne souhaitiez faire un geste commercial et l’offrir, pensez toujours à couvrir vos arrières et à rédiger un écrit qui vous servira éventuellement de preuve. Vous verrez, votre avocat en soupirera d’aise.
Via un commentaire, on m’a dernièrement suggéré un intéressant cas pratique.
Ainsi, on me demandait s’il était en droit d’utiliser les images présentes sur son ordinateur pour agrémenter les sites internet qu’il met en ligne.
Il précisait qu’il s’agissait essentiellement d’images récoltées sur son ordinateur à l’occasion de balades sur le Net, ou de résidus de programmes aussi vite désinstallés qu’installés.
L’idée en la matière est simple: vous ne pouvez reproduire que ce qui est libre de droits, ou ce dont vous détenez les droits.
Ainsi, toutes vos photos personnelles, images que vous avez dessinées avec vos petits doigts et scannées par la suite vous appartiennent et vous en faites ce que bon vous semble.
Attention cependant pour les photos à ne pas mettre en ligne des portraits de personnes qui ne le souhaitent pas, il y a un risque d’atteinte au droit à l’image.
Vous pouvez également utiliser les images que vous auriez achetées pour cette utilisation.
En revanche, je doute que les illustrations et autres icônes installées à l’insu de votre plein gré sur votre PC soient libres de droits.
Pour fréquenter pas mal d’artistes, je sais la masse de travail que représente une illustration, voire la création d’une icône ou d’un simple bouton !
Pour en revenir au problème qui nous intéresse, supposons que la petite fleur de Vulguspecum soit une petite icône d’un logiciel depuis longtemps disparu. Elle a été cédée, probablement, à l’éditeur du logiciel pour une utilisation donnée. Mais pas pour qu’un utilisateur dudit logiciel l’utilise et la reproduise pour de toutes autres fins que celle d’illustrer le logiciel.
Autrement dit il est déconseillé de reproduire sur Internet ces images. Sur ce point, je rejoins en grande partie le commentaire de Vitali sur la question.
Certes, il est douteux qu’un artiste vous tombe dessus à bras raccourcis pour cela, mais si c’est le cas et qu’il a un tout petit peu de quoi prouver son droit d’auteur, un conseil : effaçage immédiat de l’image. Avec excuses.
Et si la petite fleur était une marque… Effaçage encore plus immédiat, et petit courrier de plates excuses. Parce que généralement, qui dit marque dit avocat chargé d’assurer sa protection et titulaire de marque mécontent.
Pour conclure : si vous voulez mettre en ligne une image, faites comme moi : photographiez vous-même un sujet inanimé qui vous intéresse (ou dessinez le) et utilisez cette photo. Ça évite les ennuis.
Une question que se posent nombre de créateurs consiste à savoir si leurs droits d’auteurs sont sauvegardés s’ils ont conclu par ailleurs un contrat de travail.
Beaucoup d’auteurs craignent que tout leur travail leur échappe.
Tout d’abord, il faut savoir que le simple fait d’être salarié n’a pas pour conséquence nécessaire que les œuvres deviennent la propriété de l’employeur (heureusement).
Ne vous laissez pas persuader du contraire, c’est une règle figurant au Code de Propriété Intellectuelle :
« L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une oeuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu [d’auteur] ».
Pareil pour un fonctionnaire.
Maintenant, vous me direz que vous vous doutiez bien que le type engagé comme mécanicien ne voyait pas ses œuvres de l’esprit devenir la propriété du patron du garage et que la véritable question est de savoir ce qu’il en est lorsqu’on est salarié d’une entreprise de création.
Eh bien, pour savoir il faut lire votre contrat de travail. Et si vous êtes sur le point d’en conclure un, il faut soigneusement vérifier le projet qui vous est donné. L’assistance d’un professionnel du droit en la matière n’est pas superflue.
Il n’y a cession des droits que si le contrat de travail (ou un contrat annexe) prévoit expressément une cession des droits dans le cadre de l’activité salariée.
En outre, la cession doit préciser en détail chaque droit cédé afin d’être en conformité avec les obligations légales. Ce n’est pas parce que vous céder un droit de reproduction de vos textes que vous cédez la traduction.
Enfin, la clause doit préciser que les oeuvres sont cédées au fur et à mesure de leur création. En effet, la cession globale des oeuvres futures est interdite par la loi.
Dans le long cursus en forme de parcours du combattant qui attend celui qui veut faire ses études puis carrière dans les arts graphiques, il n’est guère consacré de temps à une petite formation sur les droits dont bénéficient les artistes.
Comme tout auteur, le graphiste qui réalise un travail d’illustration, de création d’une identité visuelle ou d’une charge graphique bénéficie du droit d’auteur pour protéger sa création.
Schématiquement, le droit d’auteur permet de protéger les droits patrimoniaux et les droits moraux de l’auteur.
Les droits patrimoniaux sont constitués par le droit de reproduction et le droit de représentation. Cela signifie que personne ne peut copier la création ou faire une exposition sans l’accord exprès du graphiste. Ces droits peuvent être cédés, moyennant rémunération.
Les droits moraux sont constitués du droit à la divulgation, du droit au retrait et au repentir, du droit au respect et du droit au nom. Autrement dit, seul l’auteur décide s’il veut divulguer sa création au public, personne ne peut l’y obliger. De façon similaire, l’auteur a le droit, après avoir divulgué une œuvre, de décider que celle-ci doit cesser d’être vue. Il peut ainsi refuser a posteriori que son œuvre soit accessible au public, ou modifier celle-ci. Le corollaire est que personne n’a le droit de modifier l’œuvre de l’auteur : c’est le droit au respect. Enfin, tout auteur a le droit que son œuvre soit connue comme étant sienne, c’est-à-dire que sa paternité sur cette dernière soit reconnue.
Les droits moraux ne peuvent jamais être cédés et demeurent attachés à la personne de l’auteur.
La chose se complique lorsque, comme c’est très souvent le cas, un créateur travaille pour un client qui lui commande un logo, une charte graphique, un design pour un site internet…
Dès lors, pour que le rapport contractuel fonctionne, il est nécessaire que l’auteur cède ses droits patrimoniaux – ou certains d’entre eux seulement – à son client. En effet, la cession d’un droit d’auteur ne se présume pas et l’auteur a tout intérêt à indiquer précisément, au sein des droits patrimoniaux, ce qu’il cède.
Il est conseillé pour cela, dans l’idéal, de conclure un contrat pour chaque commande. La meilleure solution consiste, lorsque tous les clients sollicitent une prestation similaire, à se faire rédiger par un professionnel un modèle de contrat simple, qu’il suffit de compléter. Dès lors, les obligations de tous étant clairement définies, le créateur est convenablement protégé.
A défaut il doit impérativement faire signer le devis qu’il propose. Cela ne remplace pas un contrat en bonne et due forme, mais présente l’avantage de prouver l’accord qui existe entre le créateur et son client, et permet ainsi de régler les situations délicates dans lesquelles le client de mauvaise foi refuse de payer la facture finale (en effet, cela permet de faire un référé provision avec de bonnes chances de succès).
Ainsi, il est sage, tant dans un contrat, qu’au bas d’un devis (et éventuellement pas le biais de conditions générales imprimées systématiquement avec chaque devis), de préciser exactement les droits cédés. En effet, il est aussi important pour le client d’avoir le droit d’utiliser la création qu’il a payée que pour le créateur de savoir précisément ce qu’il cède.
Dans une telle optique, il est judicieux de préciser l’usage qui sera fait de la création (droit au respect). Par exemple, dans le cas d’une illustration, il convient de préciser qu’elle ne figurera que dans tel livre, ce qui évite par exemple qu’elle ne serve à une campagne de publicité.
Le problème, pour le client, est que quoi qu’il arrive, il ne pourra jamais acquérir l’intégralité des droits de l’œuvre, les droits moraux restant acquis à l’auteur.
Sur ce point, une précision s’impose. Certes, l’auteur conserve le droit de modifier ou retirer sa création, même si on imagine mal qu’un graphiste souhaite ainsi mettre à néant son propre travail. Mais s’il le fait, il s’expose à ce que son client, qui souvent a construit toute son image de marque sur la création de l’artiste, sollicite des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la perte de son identité. Il convient donc d’envisager avec prudence toute décision qui pourrait être ensuite lourde de conséquence.
Enfin, tout créateur doit penser à se munir contre le risque de plagiat. Or, en droit d’auteur, c’est celui qui crée en premier qui détient le droit.
Donc, si vous créez quelque chose à quoi vous tenez particulièrement, ou si votre client vous semple un peu douteux, je recommande vivement un passage à l’INPI (Institut de la propriété Intellectuelle) où pour environ 10 Euros, vous pourrez au moyen d’une « Enveloppe Soleau » donner date certaine à vos créations.
© 2023 Marie Laure Fouché
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